jueves, 14 de abril de 2011

Viaje a Citerea

ANTOINE WATTEAU Le Pèlerinage à l’île de Cythère (1717) - huile sur toile (194 x 129)
Paris - Musée du Louvre

Un Voyage à Cythère

Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux
Et planait librement à l'entour des cordages;
Le navire roulait sous un ciel sans nuages;
Comme un ange enivré d'un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire? — C'est Cythère,
Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons
Eldorado banal de tous les vieux garçons.
Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.

— Île des doux secrets et des fêtes du coeur!
De l'antique Vénus le superbe fantôme
Au-dessus de tes mers plane comme un arôme
Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des coeurs en adoration
Roulent comme l'encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d'un ramier!
— Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres,
Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.
J'entrevoyais pourtant un objet singulier!

Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères,
Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,
Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,
Entrebâillant sa robe aux brises passagères;

Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près
Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,
Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches,
Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

De féroces oiseaux perchés sur leur pâture
Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,
Chacun plantant, comme un outil, son bec impur
Dans tous les coins saignants de cette pourriture;

Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,
Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices,
L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes,
Le museau relevé, tournoyait et rôdait;
Une plus grande bête au milieu s'agitait
Comme un exécuteur entouré de ses aides.

Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau,
Silencieusement tu souffrais ces insultes
En expiation de tes infâmes cultes
Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.

Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes!
Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants,
Comme un vomissement, remonter vers mes dents
Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes;

Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,
J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires
Des corbeaux lancinants et des panthères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

— Le ciel était charmant, la mer était unie;
Pour moi tout était noir et sanglant désormais,
Hélas! et j'avais, comme en un suaire épais,
Le coeur enseveli dans cette allégorie.

Dans ton île, ô Vénus! je n'ai trouvé debout
Qu'un gibet symbolique où pendait mon image...
— Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage
De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût!

Charles Baudelaire


Un viaje a Citerea

Mi corazón, como un pájaro, revoloteaba alegre
Y planeaba libremente alrededor de las jarcias;
El navío rolaba bajo un cielo sin nubes,
Cual un ángel embriagado de un sol radiante.

¿Qué isla es ésta, triste y negra? —Es Citerea,
Nos dicen, país celebrado en las canciones,
El dorado banal de todos los galanes en el pasado.
Mirad, después de todo, no es sino un pobre erial.

—¡Isla de los dulces secretos y de los regocijos del corazón!
De la antigua Venus, soberbio fantasma
Sobre tus aguas ciérnese un como aroma,
Que satura los espíritus de amor y languidez.

Bella isla de los mirtos verdes, plena de flores abiertas,
Venerada eternamente por toda nación,
Donde los suspiros de los corazones en adoración
Envuelven como incienso sobre un rosedal

Donde el arrullo eterno de una torcaz
-Citerea no era sino un lugar de los más áridos,
Un desierto rocoso turbado por gritos agrios.
¡Yo, empero, vislumbraba un objeto singular!

No era aquello un templo sobre las umbrías laderas,
Al cual la joven sacerdotisa, enamorada de las flores,
Acudía, encendido el cuerpo por secretos ardores,
Entreabriendo su túnica las brisas pasajeras;

Pero, he aquí que rozando la costa, más de cerca
Para turbar los pájaros con nuestras velas blancas,
Vimos que era una horca de tres ramas,
Destacándose negra sobre el cielo, como un ciprés.

Feroces pájaros posados sobre su cebo
Destruían con saña un ahorcado ya maduro,
Cada uno hundiendo, cual instrumento, su pico impuro
En todos los rincones sangrientos de aquella carroña;

Los ojos eran dos agujeros, y del vientre desfondado
Los intestinos pesados caíanle sobre los muslos,
Y sus verdugos, ahítos de horribles delicias,
A picotazos lo habían absolutamente castrado.

Bajo los pies, un tropel de celosos cuadrúpedos,
El hocico levantado, husmeaban y rondaban;
Una bestia más grande en medio se agitaba
Como un verdugo rodeado de ayudantes.

Habitante de Citerea, hijo de un cielo tan bello,
Silenciosamente tu soportabas estos insultos
En expiación de tus infames cultos
Y de los pecados que te ha vedado el sepulcro.

Ridículo colgado, ¡tus dolores son los míos!
Sentí, ante el aspecto de tus miembros flotantes,
Como una náusea, subir hasta mis dientes,
El caudal de hiel de mis dolores pasados;

Ante ti, pobre diablo, inolvidable,
He sentido todos los picos y todas las quijadas
De los cuervos lancinantes y de las panteras negras
Que, en su tiempo, tanto gustaron de triturar mi carne.

—El cielo estaba encantador, la mar serena;
Para mí todo era negro y sangriento desde entonces.
¡Ah! y tenía, como en un sudario espeso,
El corazón amortajado en esta alegoría.

En tu isla, ¡oh, Venus! no he hallado erguido
Mas que un patíbulo simbólico del cual pendía mi imagen...
—¡Ah! ¡Señor! ¡Concédeme la fuerza y el coraje
De contemplar mi corazón y mi cuerpo sin repugnancia!

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